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L’histoire de l’art est le critère le plus important pour une évaluation artistique
valide. L’art ne tolère ni la régression ni la répétition. Une expression littéraire
faite de mots prétendument poétiques n’est pas de la poésie même si elle plaît,
tout comme des lignes habilement tracées ne font pas nécessairement un tableau,
simplement parce que l’art ne se limite pas à une esthétique.
L’art est un monde de doutes et de nuances, et donc une science subtile qui
apporte au progrès de l’humanité une contribution des plus significatives.
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Le role prépondérant de la spontanéité dans l’art a été notée par les surréalistes
et plus tard soulignée par Georges Mathieu, le théoricien de l’abstraction lyrique en
France. Il ne nécessite aucune démonstration supplémentaire. Mais, alors que les
surréalistes ont donné à l’automatisme en art une interprétation psychologique,
Georges Mathieu, un admirateur de Pollock et de Wols, lui a donné une interprétation
phénoménologique. Nul ne s’est jamais demandé si une pierre avait un sens ou si elle
représentait un quelconque élément extérieur à elle-même. Au contraire, on s’est
toujours contenté de confirmer son existence dans la Nature et d’étudier sa structure.
Une oeuvre d’art surgit dans le monde comme un signe sans dénotation, et son
essence doit être cherchée dans l’acte de création même.
Malgré ce que ses défenseurs peuvent prétendre, la spontanéité pure risque
toujours d’être incontrolée et d’aboutir en un graffiti gratuit. On a donc besoin
d’articuler le rationnel et l’intuitif en art. C’est pourquoi mon travail consiste en une
structure simple et solide sur laquelle un geste spontanné est permis. Ces gestes ont
une double fonction: ils ajoutent une dimension lyrique à l’aridité du plan structural et
iles définissent la voie de la recherche ultérieure de structures. L’interpénétration de
ces deux plans crée une tension voulue de formes.
On ne peut définir un artiste sans se référer à son travail. Le peintre n’existe nulle
part ailleurs que dans sa peinture. A mesure qu’il crée, sa création à son tour le crée et
le transforme. La création artistique est une élaboration patiente et passionnée du soi.
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Le père de Picasso, bien que lui-même artiste et professeur de dessin, devint un jour
tellement conscient de la virtuosité et du talent de son fils encore adolescent, qu’il lui
remit sa palette et ses pinceaux et se désista de peindre.
Je ne peux comprendre une telle attitude, où l’art est appréhendé comme une rivalité ou
un concours entre artistes. L’Autre n’existe pas dans le processus de la création et donc,
la virtuosité reconnue de l’un ne peut empêcher un autre de créer.
La création est un acte intime où l’on obéit, dans l’humilité de sa solitude, à un besoin
intérieur.
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Les Artistes recherchent une vérité. Nous avons tous émis, ou entendus d’autres
émettre un énoncé similaire à un moment ou un autre; nous avons aussi pu le lire dans
un journal, un magazine ou un livre. Dans notre esprit, nous avons capitalisé ces mots
et leur avons donné une interprétation plutôt platonicienne, percevant les oeuvres d’art
comme les ombres frissonantes d’une Vérité transcendante. Nous avons cru en un
Absolu en Art, que les artistes tenteraient d’atteindre, et qu’ils atteignent en vérité à des
degrés divers qui nous permettent de distinguer les vrais artistes des faux, les grands
maîtres des artistes ordinaires. Une telle appréhension de l’Art mène indubitablement
à la croyance que les artistes ont de tous temps poursuivi un même et unique but.
En réalité les artistes ne se sont pas répétés au cours des années. La peinture, par
exemple, comme toute autre expression artistique, ou tout autre produit de l’intellect
humain, évolue selon ses propres mécanismes de développement. L’Histoire peut se
répéter, mais l’Histoire de l’Art ou l’Histoire des Idées ne tolère ni la répétiton ni la
redondance. Chaque oeuvre d’art doit trouver sa place dans le Temps où elle a été
créée. Comme l’a écrit Kandinsky, “toute oeuvre d’art est l’enfant de son temps, et bien
souvent la mère de nos sentiments.” Une oeuvre d’art doit poser et résoudre des
problèmes sur la base d’une connaissance artistique préalable, et finalement devenir
elle-même la base de développements et de recherches ultérieurs. En d’autres termes,
une oeuvre d’art est comme le maillon d’une chaîne: elle n’existe qu’entre deux autres;
tout maillon à l’extérieur de la chaîne est condamné a être perdu et oublié. Produire ou
comprendre une oeuvre d’art nécessite cette conscience de l’aspect historique de la
création artistique. Toute oeuvre d’art doit trouver une justification diachronique. Cette
importance de l’histoire est le premier critère d’un jugement artistique sain. Cependant,
pour qu’une oeuvre d’art soit acceptable, sa position historique est une condition
nécessaire mais insuffisante. En plus des considérations diachroniques, elle doit
satisfaire des considérations synchroniques: comment l’artiste affirme-t-il son identité et,
ce qui est plus important, comment développe-t-il son expression?
L’Histoire de l’Art, au cours de la première moitié du XXème siècle, a vu l’éclosion de
plusieurs théories de la peinture figurative, qui n’étaient autres que les développements
tardifs des mouvements artistiques du XIXème siècle: certains ont développé
l’impressionisme, d’autres ont trouvé dans leur âme plus d’affinité avec l’expressionisme
de Van Gogh; les Cubistes, qui ont développé Cézanne sur un plan purement formel, sont
restés fondamentalement figuratifs. Mais après Matisse, il n’existe pas de thèse réellement
convaincante de la figuration. Même les figures difformes du Britannique Francis Bacon
sont intégrées dans un espace pictural abstrait, ce qui rend presque impossible de
caractériser sa peinture comme purement figurative. Kandinsky, Klee, Mondrian et
d’autres, qui se rapprochaient de Cézanne sur un niveau spirituel plutôt que formel, ont
développé l’abstraction comme moyen d’expression, qui a germé dans les premières
années du XXème siècle mais a réellement fleuri dans les années 1940 en Europe aussi
bien qu’aux Etats-Unis. Dès lors, seuls les peintres abstraits, en particulier ceux de l’Ecole
Américaine, sont suffisamment convaicants pour être considérés les standards de la
peinture d’aujourdhui.
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Un tableau accroché à un mur est comme une fenêtre ouverte au monde, qui, selon le
point de vue de l’artiste, permet une vue de l’extérieur ou une vue de l’intérieur. Une
peinture avec une vue sur l’extérieur surtout quand elle est abstraite, devient
infailliblement un paysage en assimilant ses rythmes et ses couleurs. Un paysage est
une méditation sur le monde visible, et dans ce sens, Richard Diebenkorn, par exemple,
est un paysagiste. En effet, le fait qu’il ait nommé la masse de son oeuvre depuis les
années 1960 par le titre unique de “Ocean Park” n’est pas une décision fortuite: en plus
d’être le nom d’une rue de Santa Monica où il réside, les deux mots qui forment le titre ne
peuvent que pousser notre esprit à vaguer dans de vastes espaces où les verts, les bleus
et les gris abondent. Les critiques décrivaient Monet comme un “oeil”: c’est sans doute
la qualité essentielle d’un paysagiste. L’oeil n’est que l’observateur du monde extérieur.
Mais une peinture avec une vue sur l’intérieur est le produit d’un esprit qui médite sur
lui-même. Une telle peinture est soit introspective soit mystique; Arshile Gorky, par
exemple, était introspectif par nature, plutôt nostalgique et agonisant, et son pathos, qui
réside dans l’élément graphique de sa peinture, ne fait que raviver des fantômes
d’au-delà; d’un autre côté, les oeuvres de Rothko ont cette mystérieuse et austère
obsession, mais aussi la réconfortante présence d’une prière.
Je perçois en moi-même une forte impulsion à détruire par tous moyens toute velléité de
cultiver le paysage pour aucune autre raison que son esthétique attrayante, et me sens
prédisposé à des dialogues intimes avec moi-même et mon travail. Le choix des couleurs
et des compositions est guidé par la volonté d’éviter de provoquer, par un ensemble de
connotations de formes et de couleurs, des jets d’images ou même de sensations de
paysage, faisant de l’euvre d’art un raisonnement nu sur le soi, et de l’expérience artistique
une expérience de rationalité.
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