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J'ai récemment interviewé le peintre Anto Patanian. M. Patanian admire la peinture de Mark Rothko et d'autres artistes de l’école de l'expressionnisme abstrait américain. Au fil des années, il a développé une forme de minimalisme lyrique. Ses travaux se trouvent dans des collections aux États-Unis, au Canada, en France, en Allemagne, en Autriche, au Liban et en Iran.
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BS. Quand avez-vous réalisé que l'art jouerait un rôle important dans votre vie?
AP. Quand j’étais encore bien jeune, et comme tout autre enfant, j'ai commencé à gribouiller sur tout bout de papier à ma portée, et oui, parfois aussi sur les murs de la maison, à la consternation de ma mère, et depuis ce temps je n'ai jamais cessé de gribouiller. Je me souviens d’avoir choisi de poursuivre une carrière artistique quand j'avais sept ou huit ans et que je m’adonnais à mon passe-temps préféré, celui de feuilleter les pages des livres d'art et admirer les œuvres des maîtres anciens et modernes.
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BS. La société a-t-elle influencé votre travail? Y a-t-il des implications sociales dans votre peinture?
AP. L'art est un phénomène culturel, bien entendu, et se développe dans un environnement social, que celui-ci soit avancé ou primitif. Il faut approcher l'art avec un esprit critique et maintenir des contacts avec le monde extérieur, observant, discutant, analysant les tendances actuelles. Même Cézanne, qui était l'artiste solitaire par excellence, a maintenu des contacts avec des artistes et de jeunes admirateurs après sa retraite définitive à Aix. Cependant, je ne crois pas aux messages dans l'art si, par le terme "influence sociale" nous entendons qu’un sens extrinsèque est attaché à une œuvre d'art. Les considérations d’ordre social, philosophique ou politique sont mieux exprimées par des mots plutôt que des couleurs et des formes. Même «Guernica» de Picasso, bien qu'il représente la dévastation causée par la guerre, ne peut être défini comme un pamphlet anti-guerre. Comme l’a dit Maurice Denis il y a plus d'un siècle, "une peinture, avant d'être un cheval de bataille, un nu ou tout autre anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs assemblées dans un certain ordre." Quand je peins, je me concentre exclusivement sur cette surface plane.
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BS. En moyenne, combien de temps vous faut-il pour créer un tableau?
AP. En général je peux exécuter une peinture à l'huile en une journée et jusqu'à une semaine en fonction des dimensions, mais cela est vrai seulement pour la phase d'exécution. Une peinture exige plusieurs journées passées à faire des croquis et études pour aboutir à une composition satisfaisante. J'ai l'habitude de commencer par faire des croquis sur un bout de papier, généralement des post-it (j'ai des milliers de croquis réalisés sur des post-it).
Une fois que j'ai atteint une composition satisfaisante, je continue en créant une image numérique de celle-ci et je travaille sur les proportions et les couleurs sur un ordinateur. Enfin, je transpose cette image sur une toile et commence à exécuter le tableau. Naturellement, le résultat final est souvent bien différent de toutes les études préparatoires.
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BS. Avez-vous des «rituels d’atelier» comme, par exemple, écoutez-vous un certain type de musique quand vous travaillez? Qu'est-ce qui vous aide à vous mettre dans l’ambiance?
AP. Je travaille dans un silence complet pour ne pas perturber le dialogue intérieur avec moi-même. Il peut y avoir de la musique dans le studio mais mon esprit saura la bloquer."
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BS. Quelles seraient les caractéristiques des personnes qui collectionnent vos travaux?
AP. Les collectionneurs de mes travaux sont pour la plupart des professionnels et des éducateurs.
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BS. Parlez d’un de vos tableaux. Que pensiez-vous lors de sa création?
AP. Parler d’un tableau est un discours très technique, souvent incompréhensible et ennuyeux pour les non-avertis. D'autre part, les artistes, eux, n'ont pas besoin d'une telle présentation, car ils perçoivent le processus de la pensée dans une peinture même s’ils sont incapables de le formuler avec des mots.
A partir du début des années 1990, j'ai désigné tous mes tableaux soit par le titre « Interspace » (inter-espace), pour les travaux sur toile, soit par le titre « Innerspace » (espace intérieure), pour les travaux sur papier. En réalité, tous mes tableaux sont à la fois Interspace et Innerspace.
Inner-space suggère que l'œuvre d'art n'est pas un regard qui se porte sur le monde extérieur, mais qui se penche sur lui-même, et plus précisément, sur l'esprit même qui réfléchit sur les moyens de peupler la surface plane et blanche qui s’étend devant lui. « Inter-espace » est une description plus formelle de l'œuvre: il exprime l'intention première de ne pas considérer les différentes formes ou les divers plans qui composent la toile peinte, mais de porter son regard sur la composition des écarts ou du vide créé entre eux.
En 2003, j'ai commencé une nouvelle série intitulée « murs » qui, en plus de tout ce qui précède, met l'accent sur la bi-dimensionnalité de l'œuvre où les formes et les plans sont assemblés tel un maçon qui érige un mur.
Je me souviens que lorsque je travaillais sur le tableau qui est plus tard devenu « Mur 1 », mon fils m'a demandé si mon concept de « inter-espace» restait toujours vrai. J'ai répondu que j'avais l'intention d’adopter un nouveau titre, celui de "mur", parce que le tableau représentait un nouveau développement, un pas en avant en quelque sorte ; puis je me suis corrigé et j’ai dit que j’avais fait en réalité un pas de côté, d’où le sous-titre de ce tableau.
Au début de ma carrière en France, j'étais naturellement attiré par l’abstraction lyrique de l’école française, à une époque où la plupart de ses maîtres étaient toujours actifs. Ce mouvement était une réaction aux tendances géométriques que l’esprit français trouvait un peu trop sèches.
Quand je me suis installé aux États-Unis au début des années 1980, j’ai immédiatement senti des affinités avec l'Expressionnisme Abstrait, l'homologue américain de l’Abstraction Lyrique de l’école française. Toutefois, mon travail a évolué peu à peu en ce que je désigne avec le nom paradoxal de Minimalisme Lyrique, utilisant des outils d’expression simples, des formes géométriques simples, sans perdre la liberté de la brosse héritée de mes premières sources.
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BS. Quelle école d'art avez-vous fréquenté? Que pouvez-vous nous dire sur le département d'art?
AP. Dans les années 1970 j’ai fréquenté l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts à Paris, dans des ateliers de dessin et de peinture. Mais je crois que la formation d'un créateur dans les arts plastiques est surtout le résultat d’un travail effectué en dehors des écoles d'art. J'ai la conviction d’avoir bénéficié plus de mes études à l'Université de Paris - études de philosophie d’abord puis de lettres modernes - que toute formation dans les arts plastiques. Il existe une compétence dans l'analyse des questions artistiques qui est acquise comme résultat direct de l'enseignement général ou universitaire et ne découle pas nécessairement des discussions sur des œuvres d'art dans les académies.
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BS. Pourquoi avez-vous choisi les médiums que vous utilisez?
AP. J'ai commencé à utiliser les couleurs à l’huile quand j'avais huit ou neuf ans. A l'époque, les couleurs à l'huile me semblaient être le médium sérieux: c’était une attitude qui s’apparentait à celle d'un jeune garçon qui fume des cigarettes en cachette pour imiter ce qu'il croit représenter l'âge adulte. Petit à petit, les couleurs à l'huile sont devenues le médium de choix. J’utilise aujourd’hui les couleurs acryliques en conjonction avec les huiles. La sous-couche est en acrylique, la couche finale à l'huile. Ce système me donne la possibilité de travailler à un rythme beaucoup plus rapide.
Dans les années 1970, j'ai commencé à travailler avec les pastels, le pastel à l'huile d'abord puis le pastel sec, qui est devenu le médium privilégié pour le travail sur papier. J'aime la vitesse d'exécution et la gamme des textures qu’il permet.
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BS. En une phrase ... pourquoi peignez-vous?
AP. Je suis un drogué de l'art: quand je ne peins pas pour un certain temps, je ressens des symptômes de sevrage.
Brian Sherwin, Myartspace.com (2007)
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